DELIANA ALEXIEVA
PEINTURE ET POESIE
L'écrit sous toutes ses formes fait aujourd’hui partie intégrante du travail créatif de Déliana. Elle a peu à peu développé un langage très imagé et sensible qui prend vie parallèlement à ses peintures, les mots constituant même bien souvent le point de départ de sa création visuelle. Les formes qu'elle affectionne particulièrement sont la poésie et les récits courts, mais elle écrit également des nouvelles et aussi des romans pour enfants. Les thèmes que l'on retrouve le plus souvent dans ses poésies touchent à l’intime : l'attente, l’abandon, la mort… Quelque chose de très intérieur avec un langage direct et brut. Mais elle porte un regard beaucoup plus tourné vers l'extérieur dans ses textes plus longs avec des sujets qui puisent dans le quotidien collectif, l'actualité et les vicissitudes du monde.
En parallèle, Déliana travaille sur des écrits et illustrations pour enfants, un univers qu'elle affectionne particulièrement. "Quand je fais des créations pour enfants, je me sens complètement libre dans mon imagination et débarrassée de l'obligation de logique, de cohérence, de consistance. Je pense souvent à cette phrase absolument géniale de Winnie l'Ourson : " Plus il pleut, plus il pleut ". Même si j'adore le jeu de niveaux de lecture, ce qui me donne souvent le plus de satisfaction, c'est d'arriver à un résultat droit, direct, sincère."
"Confinement", Court métrage, 2020
Désaccords
Elle est en désaccord avec son corps.
Trop nu, trop détendu
Rideaux noirs devant, intime décor
quatre chaises comme scénographie.
Sur la première elle assoie l’illusion
Elle est au fond, côté jardin
Une copie de Eams très certainement
De trois quart écrlairé chagrin
Sur la seconde, sa fierté se dresse
de pleine face et en plein milieu
Pieds laqués, siège caresse
Elle a des tocs et crois en Dieu
La troisième c’est une banquette
Velours taché en rouge bordeau
Un groupe de pleurs y fait tempête
Et les premiers rangs prennent l’eau
Faire bonne figure sur un tabouret
tout droit sorti d’un atelier
sans confort, le temps d’un café
il n’y a que l’espoir qui s’essaie.
Elle est en désaccord avec son corps
Trop nu, trop détendu
Quatre memebres en bois, l’inconfort !
Dépareillés souvenirs perdus
Dans un brouah de diable elle peine à fuir,
les jambes en bois, les cuisses en velour,
Imaginez traîner ses chaises au pas,
Boiter devant, grincer autour
Comme une sorcière courbée le dos pointu
Mais quel corps, horrible sort.
Elle fait peur aux amoureux perdus
Et ils se cachent derrière des rires forts.
Elle est en désaccord. A la vie, à la mort.
Trop tordue, et beaucoup trop nue.
Les bras n’enlacent plus sans efforts
Et les larmes ne s’accrochent plus.
- Taillez les pieds ! j’entends dire
- Au moins pour éviter le pire,
de tomber dans l’escalier sans bruit,
quand l’autre n’est plus de la partie.
Quand l’autre ne fait plus partie
Quand l’autre ne suit plus
Quand l’autre n’est
Plus...
Elle est en désaccord avec son corps.
Mais la journée passe et elle oublie.
D.A.
Songe
Un homme s’est endormi
dans mon lit.
Si profondément
qu’il a creusé le matelas.
Je m’approche pour voir
Et cela m’attire.
Cela m’appelle.
Un trou noir s’était formé,
comme un oeil vitré et laid
qui regarde mon intérieur.
« C’est mon lit ! » lui dis-je.
Quoi de pire
que de savoir
que quelqu’un touche vos paupières,
renifle vos plaies,
frôle vos arrières pensées.
Un étranger !
Au même moment,
du fond du salon
un air connu passe à la télé.
Un air de jazz qui fait danser.
Le corps s’anime,
l'homme dort toujours.
Je décide alors
de m’approcher
et de mieux observer le spécimen.
Même si le trou l’avait à moitié avalé,
on distinguait nettement
un homme blanc,
la trentaine, blond,
rasé de près,
complétement enfoui dans ces rêves,
l’âme inerte, le corps encore frais.
Les rêves dépassaient.
Des rêves illusoires.
Des rêves gluants.
Vraisemblablement
l’homme avait décidé
d’abandonner la réalité.
Tellement plus facile.
Les illusions l’ont bercé
et le voilà, planté là,
si profondément
qu’il a creusé le matelas.
Les draps fendus
sous ses pieds tendus
comme une peau de tambour
résonne la mort.
Des rayons en poussière
éclairent la scène.
Silence au ralenti.
Silence au ralenti...
Silence.
Mais pourquoi dans mon lit ?
Une sonnerie retentit.
Je me précipite
vers la porte d’entrée.
Il ne faut pas le réveiller.
Surprise de ma réaction stupide
- ce n’est pas mon enfant,
ce n’est guère un enfant -
je regarde en arrière
comme pour être certaine
que c’est aujourd’hui et non hier.
J’ouvre la porte et recule aussitôt
Là devant se tenait l’homme,
le même que je quittais à l’instant
endormi dans mon lit.
Il n’était plus nu,
il portait un uniforme.
Il tendait un courrier,
une lettre recommandée.
J’hésite un instant
puis me décide à signer.
La porte claque
et je déchire le papier.
J’ouvre, fébrile,
mise en demeure, pv ?
Mon pouls s’accellère.
Ma respiration s’épaissit.
Je perds l’équilibre
au renlenti.
Puis soupire...
On m’informe
que la vie continue.
D.A.
L'homme poisson, linogravure, 2021